La nouvelle mondialisation des marques.
La mondialisation est au cœur de tous les débats et apparaît étrangement comme un phénomène nouveau pour beaucoup.
Les marques, elles, ont déjà connu une mondialisation.
Celle, née de l’ère industrielle et du marché de masse.
En un siècle, passant de la fabrique à l’atelier, de la manufacture à l’industrie.
La reproductibilité et la standardisation sont devenues des valeurs centrales.
En un demi-siècle, l’urbanisation a été un phénomène sociologique aussi important pour le monde, que celui des grandes découvertes. Le déplacement massif des populations vers les villes a changé les comportements et les modes de consommation. Le commerce de proximité laissant la place au marché de masse et à la grande consommation.
La marque mondiale ne date donc pas d’hier. Elle est née il y a cent ans, dans un contexte de standardisation et de conquête. Elle a été la réponse efficace à deux besoins essentiels : celui de se différencier (de se “démarquer“) , et celui de revendiquer son origine (ses racines), sur des marchés à forte croissance démographique et à urbanisation galopante.
Après deux guerres mondiales, elle a été, chacun le sait, le vecteur d’une véritable conquête culturelle, portée par un vent d’ouest dominant.
Les marques vivent donc aujourd’hui leur deuxième mondialisation.
De quoi est- elle constituée ? Qu’est ce qui la caractérise ? Quelles sont les différences par rapport à la première ? Quels enseignements tirés pour que les mêmes dérives ne se reproduisent pas ?
1/ Des marques qui entrent en résonance. – lire la suite
2/ Une mondialisation multipolaire – lire la suite .
3/ Des managers de marques aguerris – lire la suite .
5/ Le design pour tous – lire la suite .
…/…
Nous sommes tous concernés par cet enjeu : fabricants, industriels,
artisans, enseignants, designers, consultants, consommateurs,
internautes, journalistes,
blogeurs …
Tous concernés et tous citoyens d’un nouveau monde… Celui des marques.
Denis Gancel
1/ Des marques qui entrent en résonance.
Lors de la première mondialisation, les marques “marquaient“ sagement leur produit, développaient un territoire publicitaire et cherchaient le plus efficacement possible à se faire “remarquer“ sur leur marché et rien que sur leur marché. Cette mondialisation-là était encadrée, canalisée.
La deuxième mondialisation change la donne et fait sortir les marques de leur lit.
Aujourd’hui, tout est marque !
• Un homme ou une femme politique se présente à une élection : une marque !
• Un sportif émerge : une marque.
• Une entreprise B to B jusque-là inconnue connaît quelques succès : une marque.
• Une institution publique se pose des questions sur sa visibilité : une marque.
• Un musée mondialement réputé s’exporte : une marque.
• Une collectivité locale cherche à attirer des investisseurs : une marque.
• Une ONG entend faire bouger l’opinion publique : une marque…
La marque est devenue le maître étalon de tout processus de création de valeur et de toute prise de parole reconnue dans l’espace public.
Comme si l’intangible prenait sa revanche sur le tangible. Le click n’a pas réussi à détrôner le mortar, peut-être le brand y parviendra t-il !
Et puis, il y a toutes les marques des nouveaux secteurs. Ces marques “chapiteaux“, vite montées, vite démontées…. Les entrepreneurs ne prennent plus le temps de réfléchir, plus le temps de tester, ils lancent et ils voient… La méthode est efficace : 45 % du top 500 des marques US n’existaient pas il y a 20 ans !
Mais il y a plus. Les marques entrent en résonance les unes par rapport aux autres.
La résonance est un phénomène étonnant, puissant, difficile à maîtriser
( il faut aller voir l’entrée en résonance du pont de Takota sur internet).
C’est la résonance qui fait se pencher l’un vers l’autre, les musiciens d’un quatuor à cordes, chacun cherchant à mettre son instrument au service de la résonance de l’autre.
Les marques de la deuxième mondialisation, elles aussi, se soutiennent par leurs harmoniques communes et se rapprochent dans la quête de la confiance du consommateur, de l’actionnaire et du salarié.
Elles décuplent leur influence auprès de tous les publics parce qu’elles résonnent, marquant non plus seulement des produits mais des styles de vie, s’associant dans des stratégies de cobranding, racontant des histoires fortes et partagées, s’incarnant dans des lieux emblématiques au cœur des capitales, nouvelles cathédrales des temps modernes.
Les marques mondiales fixent entre elles une fréquence qui nous fait vibrer à l’unisson.
Le phénomène de la résonance n’est pas un phénomène nouveau. De l’Antiquité au Moyen Age, en passant par la Rome antique, on appelait ça la réputation.
À l’époque, la résonance passait par le bouche-à-oreille, les conversations de palais et les gazettes plus ou moins officielles …
Aujourd’hui, la technologie permet d’appliquer aux marques la définition de la résonance donnée par le Larousse : “Augmentation de l’amplitude d’une oscillation sous l’influence d’impulsions périodiques de fréquences voisines“.
Mac Luhan en 1966 prédisait déjà que les technologies façonneraient les civilisations à venir. Il le disait pour l’imprimerie, pour l’électricité …
Internet a pris le relais et fait vibrer les marques, sous nos “ impulsions périodiques accélérées“, 24h sur 24 dans le monde entier.
Internet fait subir aux marques des tests permanents de cohérence entre les discours et les actes. Tests de confiance, tests de défiance.
Seules les marques fortes pourront assumer cette vigilance numérique intraitable.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes : 600 millions de mobiles vendus chaque année,
de 5, 4 millions à 63, 1 millions de blogs entre décembre 2004 et décembre 2006, 100 000 blogs créés par jour…).
La marque de la deuxième mondialisation est un actif en résonance et en évolution perpétuelle auquel la prédiction de Darwin s’applique «“ce ne sont pas les plus forts qui survivent, ni les plus intelligents, mais ceux qui savent le mieux s’adapter au changement“.
2/ Une mondialisation multipolaire.
L’ouverture des marchés, la révolution technologique autorisent toutes les marques à tenter leur chance sur la place de marché du village mondial.
La bonne nouvelle, c’est que le vent de l’esprit d’entreprise souffle partout ! La mauvaise nouvelle, c’est que les concurrents se multiplient et inventent de nouvelles offres de plus en plus vite …
La mondialisation multipolaire change l’attitude et le comportement des consommateurs. Comme le dit Dominique Wolton, les grandes marques mondiales ne peuvent plus prétendre imposer une identité culturelle sous prétexte qu’elles incarnent un mode de vie. Les marques de la deuxième mondialisation n’édifieront pas un monde sans frontières.
Yves Charles Zarka dénonçait récemment les risques d’un tel cosmopolitisme : “Un monde sans frontières serait un désert, homogène, lisse, sur lequel vivrait une humanité nomade faite d’individus identiques, sans différences. Alors qu’un monde traversé de frontières, mais reconnues et acceptées de part et d’autre, est un monde de différences coexistantes et de diversités florissantes“.
Ainsi, le village global va de pair avec une revendication forte des identités et de la diversité culturelle (vote du 21 octobre 2005 de la convention reconnaissant le principe du respect de la diversité culturelle à l’Unesco).
Avoir une marque forte ce n’est plus imposer sa loi au monde et lisser les attentes, mais c’est faire profiter le plus grand nombre d’un savoir faire acquis mondialement et répondre au plus près aux besoins de chacun !
Le modèle “glocal“ s’impose donc partout sous peine d’éjecter les récalcitrants du concert mondial des marques pour dissonance. Jean Noël Kapferer l’avait écrit avant tout le monde: “la marque n’est pas un satellite, elle doit se poser et être locale avant de prétendre devenir globale” .
Paradoxalement, cette multipolarité s’accompagne d’une rationalisation accélérée du portefeuille de marques des grandes entreprises. La financiarisation extrême de la mondialisation tend à imposer le business model unique du spécialiste : le “pure player“.
Ce qui ne peut pas être placé dans une catégorie (le “benchmark“) est désormais sans valeur.
On observe dans le même temps un étirement stratégique (streching) de toutes les marques. Les groupes mondiaux tuent plus de marques qu’ils n’en créent. Ils cherchent tous à capitaliser sur un nombre de marques le plus limité possible. La marque de la deuxième mondialisation est une marque à long rayon d’action, couvrant des territoires de plus en plus larges.
La multipolarité s’applique aussi aux entrepreneurs de marques et provoque un phénomène vertueux : tout pays peut être assaillant et assailli. Le vent d’ouest n’est plus dominant. Les vents tournent sans cesse. L’exemple le plus récent étant la révolution de palais dans la banque mondiale. ICBC et China Construction Bank , deux banques chinoises encore inconnues du grand public il y a cinq ans, occupent désormais les deux premières places en termes de capitalisation.
Ce vent tournant rendra-t-il fou ? Ce qui est certain c’est qu’il rendra humble.
La sécurité et la confiance deviennent des valeurs universelles.
Un monde ouvert est un monde dangereux. Le consommateur final le sent, le professionnel le sait.
Ainsi, l’attente de sécurité et de fiabilité est devenue essentielle. Une marque mondiale forte est une marque qui doit offrir de la sécurité et de la fiabilité avant toute chose !
“Les marques sont des tigres de papier“ proférait Philippe Starck au vu des premiers boycotts déclenchés à partir de campagne sur le net.
Être fiable dans son village est une chose. Être fiable à l’échelle du monde nécessite une énergie et une attention extrêmes. La marque de la deuxième mondialisation n’est plus une marque apatride, qui se cache derrière un nom corporate invisible. Le “pas vu pas pris“ n’a plus cours ! La marque mondiale de 2007 vit à l’ère de la responsabilité et de la revendication de son identité et de son origine.
Le business ethic devient une valeur universelle du monde ouvert. Être une marque forte c’est être une marque exemplaire en termes de développement durable, d’environnement, de diversité.
La marque mondiale d’aujourd’hui doit donc soigner ses valeurs et son fief : L’Oréal à Paris, Procter à Cincinatti, Coca-Cola à Atlanta, Henkel à Düsseldorf …
3/ Des managers de marques aguerris.
Le management de marque doit aussi incarner professionnalisme et sécurité. Comment comprendre que le cœur de métier et les process soient totalement sécurisés alors que la marque, son management et ses signes, sont négligés ?
La marque n’est pas qu’une impulsion. Elle est devenue une organisation.
Pourquoi les pays en développement ont-ils tant de difficultés à développer des marques mondiales ? Ils ont très souvent les idées et le talent, mais ils ne possèdent pas encore l’organisation qui permettrait à leur marque de consolider leurs positions.
Telle une armée en campagne, la marque n’est rien sans une logistique sans faille …
Gérer une marque de façon professionnelle et organisée est devenu une preuve visible de la capacité d’une entreprise à apporter de la sécurité et de la confiance à ses clients.
Le management par la marque doit aussi fixer ses limites. Les brand book et autre passeport pour la marque doivent savoir rester à leur place et ne pas prendre le pas sur les initiatives managériales. On en arriverait sinon au risque dénoncé par les auteurs de l’excellent ouvrage “management par la marque“ : “le management par la marque est sans manager ou, tout au moins, au-delà des managers. La marque est la stratégie car elle fédère en despote désincarnée les énergies individuelles.
4/ La guerre mondiale des talents.
La mondialisation a ouvert le marché des talents. Les bourses dans les grandes écoles ne sont plus faites pour payer les études des démunis mais pour attirer les étudiants et les professeurs à haut potentiel sur les campus !
Le “mercato“ mondial des talents est ouvert. Évolution démographique aidant, toute marque de la deuxième mondialisation est une marque employeur et doit savoir attirer les meilleurs.
5/ Le design pour tous.
La deuxième mondialisation des marques sera plus design que publicitaire. Il suffit d’aller en Asie et en Chine notamment pour s’en rendre compte. Si le trente secondes a accompagné la conquête de l’est par les marques de l’ouest, lors de la première mondialisation, c’est l’identité et le signe qui symbolisent la mondialisation multipolaire.
En un temps record, les marques doivent poser leur empreinte sur tous les supports possibles : linéaire, points de vente, objets, éditions, sites internet, intranet, chaînes de télévision … En B to C comme en B to B , la stratégie du mystère ne fonctionne plus. Dans un monde ouvert n’y a que des désavantages à être inconnu ou mal connu. Il faut marquer et se démarquer.
Le design graphique et le design d’environnement permettent aux marques d’exprimer leur vision sur des medias permanents, de nourrir en interne la fierté d’appartenance, d’exprimer leur créativité et leur souci d’excellence.
Cette mondialisation du design est accélérée par un double mouvement :
L’explosion des marques pour les jeunes d’une part : marques de vêtements, de parfum, de sport, de voitures …. ( Un tiers de la population asiatique a moins de quinze ans).
L’émergence du marché mondial des seniors d’autre part (toutes les 50 secondes, naît un être de plus de 50 ans dans le monde !), qui impose au designer de s’engager dans “l’inclusive design“ qui consiste à intégrer dans leurs travaux les attentes des seniors (ergonomie, lisibilité des caractères, etc.).
En fait, il faudrait parler pour cette mondialisation d’une mondialisation “par“ les marques tellement leur influence est devenue considérable, sur les comportements des consommateurs, sur les comportements citoyen, sur le management des groupes internationaux. Il nous faut garder à l’esprit la trace laissée par la première mondialisation. Elle a laissé de très beaux souvenirs à certains, mais aussi des relents amers de domination, d’impérialisme et d’asservissement.
Nous sommes tous responsables de la réussite de la mondialisation en cours.
Réussite ?
Cela veut dire tout faire pour que les marques apportent plus de choix et donc plus de liberté ; Plus de traçabilité et donc plus d’éthique ; Plus de qualité et donc plus d’exigence.
Nous sommes tous concernés par cet enjeu : fabricants, industriels, artisans, enseignants, designers, consultants, consommateurs, internautes, journalistes,
blogeurs …
Tous concernés et tous citoyens d’un nouveau monde… Celui des marques.
Denis Gancel