“Do you want to be right or do you want to be president ?“

LES POSTS DES BOSS
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Par Gilles Deleris

Manager d’agences en tout genre, nous devons être nombreux à avoir applaudit des deux mains la tribune limpide de Laurent Sacchi. Il y dénonce avec une justesse absolue la dérive dangereuse des compétitions. Qu’un grand annonceur prenne ainsi la plume pour défendre une telle cause fait sans doute plus de travail que 20 ans de plaidoyers pro domo, plus d’effet que les initiatives réunies des associations professionnelles pour lesquelles cette question des compétitions est un véritable marronnier.

Cette position est juste en tous points.

Les compétitions détruisent de la valeur et mettent en péril le modèle économique des agences dont la principale source de revenus est le temps passé facturé.

Mais comme le décrit très bien Laurent Sacchi, elles établissent, de surcroît, un biais préjudiciable à une réflexion stratégique et créative vertueuse. “Do you want to be right or do you want to be president ?“ :

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Les compétiteurs intériorisent ou s’imposent un fonctionnement qui les conduit souvent à privilégier la tactique à la pertinence. Autrement dit, la faiblesse de la nature humaine peut nous conduire à préférer gagner à tout prix plutôt que d’avoir “raison”. Une partie non négligeable du temps consacré à la compétition passe dans l’élaboration d’un raisonnement et d’une création fondée sur les a priori d’une réaction hypothétique du prospect. Chacun fantasme sur son audace ou sa frilosité et étalonne ses recommandations à l’aune de sa subjectivité. À cela s’ajoute encore le temps perdu à imaginer une “réponse à la réponse présumée” des compétiteurs “pour tuer la piste que nous n’aurons pas pu présenter”…

Les partis pris, au lieu d’être absolus, deviennent relatifs… Comme la qualité de ce qui est produit.

Dans ce contexte, c’est la nature même de nos métiers qui est mise en cause. Les process de la communication et du design sont par essence collaboratifs. Conçus dans l’isolement d’une phase de compétition, ils semblent signifier qu’ils relèvent d’une pratique “individuelle“, subjective, échappant à la dynamique dialectique, à la lisière d’une démarche artistique et donc sujette à caution.

Enfin, à l’issue de la journée lors de laquelle l’ensemble des agences aura présenté sa réflexion, il restera à choisir entre 3 et 18 projets, chacun servis par un argumentaire qui annule soigneusement l’autre. La profusion devenant un obstacle à la prise de décision, plusieurs scénarii se présentent. Celui de la finale (à 2, à 3 ou à 4…) qui renvoie aux points précédents… Celui de l’abandon d’un projet au fond pas suffisamment mûr mais qui aura permis à l’annonceur de former ses équipes à la conduite de projets… Enfin, celui des tests derrière lesquels s’abriteront les équipes démunies face à cette complexité. C’est l’effet double lame : la première coupe les plus grosses aspérités, la seconde élimine tout ce qui dépasse…

Le tableau, naturellement, n’est pas toujours noir. La réalité que décrit Laurent Sacchi est connue par de nombreux annonceurs qui s’attachent à défendre, notamment auprès des acheteurs, la qualité du partenariat qu’ils vivent avec leurs agences. Ils savent qu’une marque se construit dans la durée et que les plus belles sagas sont souvent nées de la connivence fertile d’un client et de son agence.

La qualité de nos réponses passe par la symétrie de nos relations. Trop d’appels d’offre portent atteinte à ce bel équilibre.

Gilles Deléris,

Cofondateur de W&Cie

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