Marques et opinion en ligne (1/3) : Une communauté de marque peut-elle être influente ?

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Adictiz ou la communauté de marque low-cost

Il est un nouveau venu original dans la famille des réseaux
sociaux : adictiz, « le premier réseau social dédié à
l’univers des marques »
. L’internaute
peut y « découvrir l'univers de plus de milliers de marques » (sic), « s'informer
sur l'actualité des marques »
, « partager son univers personnel de marques » (re-sic),
etc. Le site sadresse autant aux internautes qu’aux marques en question : à en
croire ses créateurs, adictiz leur offre sur un plateau une « communauté de marque»,
toute prête à porter les couleurs de la marque contre quelques goodies ou bons
de réduction gracieusement distribués.

Ce type de plate-forme n’est pas isolé.
L’heure est bien aux « communautés de marque » (les guillemets s'imposent), outils sociaux entièrement dédiés à la marque. S’y engagent des noms
aussi divers que Kinder, Starbucks ou Lavazza.

S’il ne s’agit que de « fidéliser », «
créer du lien » avec ses clients, l’outil est parfait. S’il s’agit au contraire
d’investir la dynamique réticulaire du web, de
mobiliser des « alliés » sur les grands espaces de conversations, dans une logique d'influence, la démarche
est hasardeuse. S’ils sont déjà « fans », ces
internautes n’ont sans doute pas besoin d’une incitation aussi dérisoire que des bons de
réduction. S’ils ne le sont pas (mais alors que font-ils là ?), on voit mal ce
qui les amènerait à, subitement, prendre la défense de la marque.


Une communauté de marque est elle une communauté ?

Ce type de démarche  repose manifestement sur une illusion rhétorique : ces «
communautés de marque » ne sont en rien des communautés. François Pisani
liquidait la question, le mois dernier : «Soyons sérieux. Les gens qui achètent des chaussures d’une même marque n’ont
rien d’autre en commun entre eux que d’avoir acheté des souliers qui ont la
même étiquette sous la semelle. Ça n’est pas pour autant qu’ils forment une
communauté.»
Tout au plus s’agit-il de "fichiers-clients", aussi sophistiqués
soient-ils. Dispositif pour le moins léger, si l'on souhaite partir à la conquête de l’opinion
en ligne.

Qu’est-ce donc qu’une
communauté ?

  • Une définition « classique » limite le terme à la notion
    d’identité, définie par des usages et croyances.
  • Une seconde définition, «
    passionnelle », postule que les individus se regroupent, non pas en fonction de
    leurs identités, mais en fonction de leurs passions ou préoccupations. Je
    n’interviens pas sur Doctissimo parce que je
    ressens une « affinité identitaire » avec les autres membres, mais parce que je
    suis préoccupé par le même problème qu’eux, et que je souhaite échanger ou
    recueillir des informations. 

Ce besoin
d’informations, sur une préoccupation bien précise, soude plus sûrement les
internautes que les logiques identitaires traditionnelles. L’échange naît d’un
« j’ai peur », et non d’un « je suis ». Ces nouvelles communautés correspondent
en tout point aux « communautés de menaces », pressenties par Zygmunt Bauman
et Ulrich Beck : les appréhensions des individus importent désormais plus que le groupe social d'origine, ou les pénuries devenues inexistantes.

Deux internautes partageant exactement les mêmes « usages et croyances » ont
moins de chance de converser durablement ensemble, qu’un individu en attente de
réponses et un « expert » prêt à l’éclairer, le rassurer ou le conseiller.

En un sens, et pour être schématique, la préoccupation crée le besoin d'information, le besoin d'information pousse à l'échange, l'échange durable crée la communauté.


Marques et préoccupations

Or la
marque est rarement une préoccupation. La plupart du temps, les consommateurs
sont mus par des préoccupations extérieures, où la marque n’apparaît qu’à la
périphérie. Je ne suis pas préoccupé par Nokia, mais par le problème des ondes électromagnétiques ; je ne m’intéresse pas à la RATP, mais à mon temps de
transport quotidien ; je ne m’intéresse pas à Danacol ou au beurre
ProActiv mais à la réduction de mon taux de cholestérol. Ces communautés
préexistent à la marque, ont une vie et une activité propre. ProActiv peut bien
cesser sa production, je serai toujours autant préoccupé par mon taux de
cholestérol. Penser la communauté oblige la marque à une véritable révolution copernicienne : Les valeurs corporate sont les simples satellites de préoccupations indépendantes.

Communiquer et accroître son influence en ligne suppose donc une démarche en deux temps :

  • Dans un premier temps, l'identification de ces préoccupations, des "centres de
    gravité" de l’environnement en ligne de la marque.
    De quoi se nourrissent ces communautés, comment fonctionnent-elles, quel est leur moteur, quels en
    sont les influenceurs ?
  • Dans un second temps, la campagne d'influence passe par la mobilisation de ces communautés, en contribuant aux débats de celles-ci. La marque entre alors en conversation, écoutant avant de faire part de son expertise. Cette conversation sert de point de départ à l'indispensable constitution d'un réseau d'alliés, fidèles sans être affidés.

Rabbit_animeweshwesh, veilleur copernicien

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