Identité et camouflage : Devenez vous-même.com

LES POSTS DES BOSS
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Le concept d’identité suscite bien des interprétations. Après le débat chaotique sur l’identité nationale, c’est l’Armée de Terre qui, dans sa campagne récente, additionne les paradoxes. Qu’y voit-on ?
Une série de portraits de militaires engagés et une accroche simple qui renvoie au site dédié : Devenez vous-même.com

La direction artistique s’appuie sur un procédé efficace qui consiste à imprimer les visages stylisés sur une toile de camouflage, aux couleurs qui les caractérisent : ocre, sable, terre, vert boisés et kaki. Cette série d’images puissantes et soignées révèle de curieuses ambiguïtés.

Sur le fond, l’armée tient sa force et sa réputation d’une idée simple et partagée selon laquelle la personnalité de chacun s’efface devant l’intérêt général. La grandeur du service tient à cette abnégation. Le titre de l’affiche semble dire le contraire, inviter à la singularité même si l’on comprend que l’intention consiste à déplacer la symbolique sur le terrain du dépassement de soi et du développement personnel.

Devenir soi-même dans un monde d’uniformes est sans doute une belle ambition mais c’est aussi un magnifique oxymore.
Sur la forme, l’ambiguïté est plus forte encore puisque l’esthétique du camouflage symbolise l’effacement, la disparition, comme si l’individu était absorbé dans un ensemble indéterminé ou s’engloutit l’idée de personnalité.
La campagne de l’Armée de Terre présente des hommes et des femmes fiers d’être eux-mêmes. Voilés, pardon, camouflés, s’ils s’extraient du monde commun, c’est pour mieux se réaliser… L’argument vaut ce qu’il vaut. Mais dès lors qu’on l’accepte, l’Institution ou le Politique peuvent-il d’une main condamner le port du voile au motif qu’il est un objet de contrainte et de privation de liberté et de l’autre présenter des hommes et des femmes camouflés et contraints par des règles coercitives comme l’expression ultime de l’aboutissement de soi ?

La friction sémiologique et sémantique de cette campagne confirme s’il en était besoin que l’identité est une matière complexe. Que les signes qu’elle donne à voir ont autant d’interprétations que de regards portés. Elle souligne qu’elle est affaire de point de vue, de contexte, de calendrier. Qu’elle est étroitement liée à l’idée de liberté et ne saurait s’accommoder de solutions prêt-à-porter ou de figures imposées.

Gilles Deléris

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