Hello™ : La marque que j’aurai adoré adorer.
À la Gaïté Lyrique, le collectif H5, auteur de quelques bijoux créatifs et de Logorama, prouesse jubilatoire sur un monde intégralement mis à l’image des logotypes qui nous entourent, poursuit son travail sur cette matière première si riche et si complexe.
Hello™ tient un propos dont la marque, un aigle aux contours bienveillants, est l’objet central, l’icône ou plutôt l’idole à laquelle tout se réfère.
Le monde d’Hello™ est intégralement normé selon des archétypes de fond et de forme.
À l’instar des entreprises japonaises ou coréennes qui encadrent leurs employés de la naissance à la mort, il se donne à lire, sous un jour souriant, comme un Gattaca obsessionnel, inquisiteur et totalitaire.
Soit. Oui, les marques façonnent notre environnement physique et mental.
Alors que les idéologies du XXe siècle consacraient l’omniprésence du politique – « Tout est politique » –, le XXIe consacre celle des marques. Le « branding » est devenu un réflexe. Tout est marque ou le devient !
Enseignes, pays, produits de consommation, magasins, magazines, centres commerciaux, écrans de télévision, interfaces digitales, stades, villes, caleçons, sacs, montres, téléphones, médicaments, automobiles, friandises, boissons, musées, divertissement, politique… Rien n’échappe au développement exponentiel des marques.
Fer de lance du capitalisme et de la société de consommation, elles suscitent tous les enthousiasmes et toutes les détestations.
Elles fascinent. En tant qu’organisation, par leur capacité à dire une part du monde, à déployer des systèmes créatifs cohérents et uniques. En un siècle, la marque est devenue le maître étalon de tout processus de création de richesse. Nos marques sont avant tout nos emplois.
Elles agacent. En ce qu’elles incarnent une emprise sur nos consciences et tentent de nous imposer leurs valeurs. Omniprésentes, elles s’invitent dans l’ensemble des champs sociétaux.
Bref, honnies ou cultes, elles constituent un fait de société, une matière riche, foisonnante, au cœur des économies mondiales.
Les artistes contemporains ne s’y trompent pas et, dans le sillage du pop-art, s’en emparent, les détournent ou les hackent menues.
C’est ce qu’entreprend H5 dans cette exposition que j’aurai adoré adorer.
Mais, au delà de la métaphore orwellienne gentiment développée, je n’y ai trouvé ni étrangeté, ni inquiétude, ni subversion. Une autoroute conceptuelle nous est proposée. Impossible d’emprunter des chemins de traverses afin de suivre sa propre voie. Dans cet univers aseptisé, la Marque a choisi son camp sans ambiguïté interprétative. Hello™ est du côté obscur et comme Ronald dans Logorama, est animée des plus mauvaises intentions. Infantilisation de ses publics, story telling artificiel, verbiage conceptuel, injonctions débilitantes, toute l’exposition est une instruction à charge. Fermez le ban. Tout est dit et se clôt un débat qui ne s’amorce pas. Le récit parodique de Logorama prend le parti de la fiction quand celui de Hello™ semble vouloir nous faire la leçon.
Faut-il voir dans ces propositions une exceptionnelle clairvoyance sur la sauvagerie du libéralisme, la dénonciation d’un hypermarketing qui emprunte aux sectes et aux illuminés ses techniques de décérébration et de surveillance ?
Que penser de cette ironie distanciée sur le thème “on ne nous la fait pas”, ce ricanement sous cape, alors même que H5 répond, avec talent du reste, à des commandes commerciales en tous genre ?
Que faire de ce pessimisme s’il est sincère et plus encore s’il est feint ?
Qu’en déduisent les jeunes gens modernes qui naviguaient si nombreux, Iphone plaqués à l’oreille, brandés de la tête aux pieds : “T’es où toi ? Moi, je suis inside !”.
Inside quoi au juste? Un objet critique ? Dans ce cas le petit aigle d’Hello™ ne vole pas assez haut. Une aimable distraction ? Là oui, si l’on s’en tient à l’habile exercice de style. Mon cœur balance. Cette hésitation pose questions. Portons au crédit de ce collectif talentueux que ce non choix en est un…
Derrière ces portes ouvertes gentiment enfoncées, au premier étage, ou en ligne, sont proposés à la vente de jolis objets dérivés de cette opération. Ah ! Là aussi, on est d’accord. Rien n’échappe à la marchandisation et à la puissance de séduction des marques.