Thomas Stern, interviewé avec Guillaume Pannaud par les étudiants de l’École de la communication
Découvrez aujourd’hui cette interview réalisée par les étudiants de l’École de la communication de Sciences Po, et publiée sur leur blog.
Mardi, 19:15-21:15. C’est l’heure, peu propice, à laquelle Guillaume Pannaud, président de TBWA Paris, et Thomas Stern, Directeur de création de W Atjust, assurent leur cours Marque et création : le processus de création sous contrainte. Autant dire qu’un cours ne serait-ce qu’un tout petit peu trop calme créerait des vagues de somnolence massive.
Non seulement tous les étudiants restent éveillés, mais ils s’accordent en plus à dire que le cours, partagé entre une partie théorique, et même philosophique, et une partie très concrète sur la création publicitaire, est une mine d’enseignements et de méthodes utiles au quotidien en agence.
Il nous fallait donc absolument mieux les connaître. C’est pourquoi nous leur avons d’abord demandé de se présenter l’un l’autre.
« J’ai acheté un chien et j’ai quitté Thomas »
Thomas Stern commence : « Quand j’ai rencontré Guillaume, il y a plus de 10 ans, il était planneur stratégique chez FCB et il jouait beaucoup au flipper. Nous avons fondé Netbrand ensemble, puis il est parti chez TBWA. » On nous décrit Guillaume Pannaud comme travailleur et rigoureux, très professionnel, à la limite de l’obsession parfois. Mais l’information essentielle arrive finalement au détour d’une phrase : « Il a un énorme chien, un Terre-Neuve. » La Rédac’ c’est le scoop, toujours le scoop.
« Thomas, enchaîne Guillaume Pannaud, a déjà une longue carrière et une réputation extraordinaire. Il a bouleversé des marques, créativement et stratégiquement. C’est un des rares créatifs à avoir une telle densité de réflexion, à tel point que lorsque nous travaillons ensemble, on ne sait pas toujours lequel fait la strat’, et lequel fait la créa’». Et le chien alors ? « C’est assez concomitant : à 40 ans, certains changent de femme, moi j’ai acheté un chien et j’ai quitté Thomas.»
SciencesPo., école de création ?
Mais SciencesPo. est-il un bon endroit pour assurer un cours sur la création ? « Oui ! Plus on est exposé à la création, et plus on a envie d’en faire, j’y crois profondément, explique Guillaume Pannaud. Et je suis trop souvent atterré par la qualité des briefs qui nous arrivent : nous en recevons beaucoup trop qui ne contiennent aucun problème. » Donc, un cours qui vise à nous donner envie de participer à la création, ce qui, contrairement à ce qu’on croit, commence dès le brief.
« La chose fascinante dans ce métier, enchaîne Thomas Stern, c’est qu’il y a de la création dedans. Les créatifs s’expriment peu sur leur métier, alors qu’il y a un vrai intérêt à en parler. » Ce que confirme Guillaume Pannaud, en ajoutant que pour eux, à titre individuel, il est intéressant de prendre du recul, et de penser le métier. « J’espère qu’il restera de manière diffuse quelque chose de notre cours », conclut-il.
Le Métier avec un grand M
Le modèle d’agence prôné par Guillaume Pannaud, c’est un modèle où la frontière entre stratégie et création n’est pas étanche. « Je trouve que c’est formidable quand un créatif vient présenter son travail à un client, d’abord parce que c’est son travail. Et le celui du commercial, c’est également de venir avec des idées. Le moment de création de l’idée, qui est le moment le plus intéressant, le plus excitant, appartient à tout le monde. »
Puis vint la question qui fâche : est-ce que le publicitaire fait de l’art ? « Je pense, répond Thomas Stern, que le métier d’artiste contemporain, c’est exactement le métier de concepteur dans la pub : on crée des concepts qui amènent de la valeur. Cela ne préjuge pas de ce qui en sort, mais si on croit qu’il y a une culture contemporaine, elle est complètement mêlée à ce qui se passe dans la pub. »
Et de quelle campagne sont-ils les plus fiers ? « Moi, j’ai inventé une locution populaire : elle a tout d’une grande ! La langue bouge comme ça ! » explique Thomas Stern. « Moi, enchaîne Guillaume Pannaud, c’est la campagne pour la lutte contre le tabagisme passif. Parce que ça a fait bouger les lignes. Il y a eu un avant, et un après : avant, fumer, on se disait que ça gênait un peu les autres, et nous nous l’avons chargé de sens, de gravité. » (si vous ne voyez pas de quoi on parle, honte à vous, mais cliquez donc ici, ou là.)
Un secteur bouché ?
En pensant aux étudiants de l’École qui se lancent maintenant sur le marché, La Rédac’ a eu envie de chercher du réconfort. Alors, est-ce qu’il y a un espoir ? Thomas Stern répond, « La pub c’est un métier cyclique : il y a des moments de très grand investissement, et des moments transitoires… c’est plutôt là qu’on en est ». « Une chose est sûre, renchérit Guillaume Pannaud, c’est que 2013 va être une année très compliquée. » Puis voyant nos regards désespérés : « La bonne nouvelle, c’est qu’on a démontré récemment de Kondratiev s’est planté : les cycles sont plus courts que 25 ans. » Ah bah voilà qui rassure. « On est dans un métier qui se réinvente. Je milite pour une organisation en rateau, avec des seniors en prise directe avec des juniors. Je crois fondamentalement dans ce modèle, et je pense que là réside l’espoir pour les générations qui arrivent ». Thomas Stern ajoute une lueur d’espoir, « Il y a un devoir professionnel à accepter les points de vue de l’extérieur dans la communication, sinon on tourne en rond et on radote. »
Et la question qu’on se pose tous : c’est quoi, avoir du talent en publicité ? Guillaume Pannaud conclut, « Le talent, c’est une personnalité avant tout. Une ouverture, une fraîcheur, et une capacité d’émettre un point de vue, de le défendre et de le porter. »