Les profondeurs du flat design
Chronique de Gilles Deléris parue dans étapes #219
À la faveur de nouvelles interfaces, Windows 8 et IOS 7, nous découvrons qu’il est possible de produire des signes et du sens en économisant les moyens de leur mise en œuvre: un minimum d’effet pour un maximum d’efficacité. Le flat design est le nouvel horizon.
Mais au fond, que dit cette formule qui fait florès?
Pour la génération X, c’est un retour aux sources d’une histoire des signes vieille d’un siècle, enseignée dans les écoles d’Art et de design. Elle ressuscite les maîtres du Bauhaus et les préceptes fondateurs de l’esthétique industrielle qui définissaient ses référents visuels en fonction des technologies disponibles : couleurs primaires facilement reproductibles, ergonomie, fonctionnalité, géométries minimales pour rationaliser et affirmer une rupture avec l’opulence des arts bourgeois du XIXe siècle. Vu sous cet angle, la tentation est grande d’inscrire cette tendance émergente dans le mouvement cyclique de la mode et de son éternel recommencement. Déjà Robert Venturi, il y a quelques décennies avait fait un sort au Less is more de Mies Van der Rohe. Facétieux, il déclarait Less is a bore ouvrant ainsi les voies au postmodernisme et à l’hybridation stylistique. Celle-ci ne cessera, sous de nombreuses influences, de se développer d’une manière inflationniste.
Pour la génération Y, il se joue autre chose. Biberonnée à l’opulence visuelle, au zapping et au chatoiement des écrans, elle a intériorisé ces nouvelles écritures comme le comble de la modernité. Le langage commun est passé de l’image fixe et définitive – l’affiche – au mouvement permanent – interfaces dynamiques, état allumé ou éteint, stop motion, Vine…-. Pour cette génération stroboscopique et celle qui suit, s’en tenir à cette nouvelle ascèse visuelle est une révélation, voire une révolution.
À y regarder de près, il se pourrait bien que ce soit le cas.
Car si l’histoire se répète ici, c’est avec ironie. Elle inverse la fonction symbolique de propositions esthétiques pourtant communes : rouge, jaune, bleu, utilisation des aplats, géométries orthogonales, rejet du décoratif, codifications strictes et normalisées…
Alors qu’il était question d’accompagner le développement exponentiel de produits manufacturés dans un environnement vierge, d’affirmer sa foi dans un progrès associé aux développement de biens matériels, il s’agit aujourd’hui, en employant les mêmes recettes plastiques, de limiter la production de stimulis dans des environnements saturés, de contenir les flux de données qui rythment nos existences, d’accompagner la mutation de nos sociétés vers une économie de l’immatériel. Le flat design n’est pas un style, c’est une réinitialisation mentale, une hygiène de l’esprit qui remet à plat l’idée que l’on se fait de l’usage des signes. Les designers ont cette opportunité de jouer le rôle de guides éclairés aptes à faciliter nos vies réelles et virtuelles, d’agents modérateurs qui libèrent nos mémoires de tout le superflu. Le flat design nous permet à tous de faire une pause et de prendre de la hauteur.