À la française ! J’en suis fort aise.

LES POSTS DES BOSS
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Paru dans Étapes n°224

 

L’art de vivre, la french touch, l’esprit, le génie français que l’on nous prête et dont nous nous réclamons sont sans doute les préceptes les plus ancrés dans nos certitudes collectives. Ils nous rassurent car ils décrètent unilatéralement notre exceptionnelle exception culturelle. Oui, admettons, nous sommes râleurs, mal embouchés, chauvins mais doués, collectivement, de cette aptitude à exister avec art et élégance… Si ces préceptes sont les mieux partagés, ils sont aussi les moins définis.
Ceux qui nous aiment nous le disent, il y a dans notre façon d’être ce je ne sais quoi qu’ils ne parviennent à décrire au delà d’un large soupir pour évoquer le souvenir d’une émotion, d’un sentiment, d’un parfum volatile, bref, d’une petite musique indéfinissable. Lorsque l’on s’y essaie nous-mêmes, les mots manquent. Mais s’impose assez vite la certitude qu’il s’agit d’une évidence, mieux encore d’un don qu’il serait inutile de décrire au risque de le priver d’une part de son précieux mystère.
Ni liquide, ni solide, ni gazeux, l’art de vivre à la française est un état du 4e type. Nous en sommes les inventeurs, les dépositaires et les infatigables défendeurs.
Aux premières lignes de cette croisade: les marques qui souhaitent s’exporter. L’automobile, l’hôtellerie, la mode, le luxe, la gastronomie, le Slip (Français) s’y réfèrent.
Elles puisent indéfiniment dans cet imaginaire vaporeux et superficiel quand leurs concurrents étrangers valorisent la technologie, la performance, l’accessibilité ou le pragmatisme. Lancées dans la même compétition mondiale, la cigale face aux fourmis semble ainsi courir avec un vrai handicap, ne nous déplaise… En chantant tout l’été, nous voilà donc éternellement condamnés à exercer notre art en ne valorisant que la légèreté, le trait d’esprit, l’élégance naturelle, le goût pour la surpiqûre d’un cuir ou l’extrême raffinement d’un macaron. Combien de divisions face à un tel assaut de raffinement, est-on en droit de s’interroger ?
La réponse à cette question vient peut-être de Francis Poulenc, le musicien, dont le père, chimiste, est à l’origine de Rhône-Poulenc.
Dans cette famille qui incarne à elle seule le génie français, le parfait équilibre du cerveau droit et du cerveau gauche, le fils donne une définition de notre talent national qui fait mouche : rigueur sur le fond, fantaisie et audace sur la forme. Sans doute cette qualité n’est pas réservée à nos compatriotes, mais il est sûr qu’elle caractérise aussi bien les revues du Moulin Rouge que l’architecture de Rudy Riciotti, le dessin de Toulouse-Lautrec que les nouvelles DS, autant EADS que Pierre Hermé, autant Rameau que Daho.
Ce simple parallélisme a ceci d’intéressant qu’il conduit la Cigale à ne rien négliger de ses gammes et à ne rien lâcher de son goût de la liberté. Il replace les promesses de marques sur un terrain concurrentiel et objectivable. Il relativise le romantisme inconséquent que fustigeait La Fontaine. Cet art de vivre là est une chance, une force et un véritable avantage compétitif que les étrangers nous reconnaissent. Alors! Dansons, maintenant !

Gilles Deléris

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