Des logos Canada Dry©
À quand une grève générale des designers. À quand une fronde contre les plateformes de création de logos à prix défiant l’entendement et la concurrence. À quand des pneus Michelin© ou des Goodyear© brûlés, des Citroën©, des Renault©, des Peugeot©, des Jeep© renversées, des Frigidaire©, des Caddies©, des Mobylettes©, des Vespas© et des Solex© érigés en barricade. L’heure de la colère et de l’insurrection a sonné. Ensemble occupons les sites internet* où se fabriquent à la chaine des logos Kleenex©, où est passée au Kärcher© la moindre trace d’exigence! Brandissons nos Bic©, nos Criterium© et nos Caran d’Ache© comme autant d’épées de bois pour défendre nos avantages jamais acquis ! Ensemble, luttons contre le simplisme de l’économie du gratuit qui solde les savoir faire en cassant les prix !
Son dernier avatar salué, comme une initiative ultracool, le site Logodust propose chaque mardi une trentaine de logotypes libres de droit et entièrement gratuits, prêt-à-télécharger. Sidérés par la lumière pleins phares de l’ubérisation, les commentateurs de cette initiative la trouvent “ingénieuse”, “éthique”, “accessible”, “généreuse”, idéale pour répondre à un nouveau projet ou pour lancer sa start-up ! Et hop, vite fait sur le gaz, un clic suffit, on pioche dans la base un signe qui va avec tout, on télécharge et le tour est joué. Un coup de personnalisation, un peu de bleu ou un peu de rouge, c’est selon. Une marque est née…
À l’examen, la livraison du jour propose une succession de graphismes abstracto-géométriques, de belles marquises vos yeux d’amour mourir me font, assemblages visuels interchangeables, dans un sens, dans un autre, vide de sens en tout cas, sans récit, sans histoire. À cette logorrhée graphique monocorde, il suffira d’ajouter une typographie pour achever un ensemble Canada Dry©, sans caractère, fruit du hasard et de rencontres improbables.
Bien sûr, malins et prudents, les promoteurs de cette idée à deux balles précisent que rien ne remplace le travail d’un professionnel. Mais dans ces histoires, c’est la première marche qui compte pour dévaler ensuite d’un seul coup toute les autres et se retrouver les quatre fers en l’air, tout en bas de l’échelle de valeur. C’est la réalité de bien des graphistes, premières victimes des sites de crowdsourcing, qui subissent les conditions dérisoires de l’exercice de leur métier.
Il faut sans cesse le répéter au risque de ratiociner :
Le design est un comportement, pas une technique de reproduction ou d’automatisation des codes. C’est une culture nourrie d’échanges et d’expérience, un art exact où le hasard tient peu de place. Créer une marque est une approche patiente, un dialogue lent et sérieux pour donner un visage à une idée, pour donner de la valeur à un projet. Elle est souvent fondatrice d’une aventure et incarne un rêve d’entreprendre. Placer le design au cœur le l’entreprise, de l’offre comme premier témoin de sa qualité et du respect du client… Y penser, en débattre, y consacrer du temps et des moyens, convaincu qu’il s’agit de la clé de voûte de l’édifice… Ironie de la situation, les stars de cette nouvelle donne, – Uber©, Airbnb©, dotés de systèmes identitaires très élaborés – ont, de ce point de vue, bien compris que la confiance et la qualité de la relation commençaient par là.
Ces moments uniques dans la vie d’une entreprise, à la fois rares et précieux, méritent décidément plus d’attention et de conscience qu’un téléchargement sur Popcorn©.
*Logopascher©, Zelogo©, Kang©, Freelogoservices© et tant d’autres…
Tribune parue dans Design Fax