La tyrannie du Baby-foot
Le travail cloisonné n’est plus. Vive le travail libéré.
C’est un fait, ce qui était jusqu’alors une journée de travail bien cadrée et standardisée n’est plus. Les journées de boulot commencent avant d’arriver au bureau et se terminent après en être parti. Les frontières entre vie professionnelle et vie personnelle sont de plus en plus fines, pour ne pas dire floues. Cette tendance a d’ailleurs un nom : il s’agit du blurring.
Ultra-équipés, ultra-connectés et ultra-réactifs, les nouveaux actifs ont fait entrer le travail dans une dimension nouvelle. Désormais, on suit ses mails en continu, on élabore des projets, on accomplit des tâches n’importe où et n’importe quand. Le bureau n’est plus forcément un endroit où l’on travaille, mais quelque chose que l’on transporte avec soi.
Ce sont précisément ces nouveaux comportements qui ont accéléré l’obsolescence de nos espaces de travail, conçus à une époque où les frontières étaient moins floues, où un manager était un chef, où il était possible de se planquer dans son bureau fermé et où les millenials n’existaient pas.
Vers une uberisation des espaces de travail ?
Les entreprises françaises restent encore timides sur le sujet des nouvelles façons de travailler et cela donne des idées à de nombreux acteurs de la vie économique qui détectent une opportunité de créer un marché nouveau et profitable dans cet univers. Peu à peu, l’entreprise pourrait être dépossédée de ses espaces de travail qui, comme beaucoup d’autres services aujourd’hui, pourraient se “dématérialiser“. Les entreprises s’engageraient de moins en moins sur des baux longs de 3, 6 ou 9 ans comme c’est fréquemment le cas aujourd’hui ; mais elles privilégieraient des charges flexibles c’est-à-dire une location adaptée à leur usage réel, le fameux pay per use… une consommation instantanée, sans engagement.
Aujourd’hui, des nouveaux acteurs transforment l’espace de travail en business. Ils se divisent en trois catégories.
1. Les filiales de grands groupes immobiliers qui disposent de m2 qu’ils cherchent à rentabiliser au maximum comme Nexity (Blue Office), Bouygues Immobilier (Nextdoor) ou Gecina qui est allé un cran plus loin en créant avec l’agence W, Secondesk une offre de second bureau pour ses clients déjà locataires qui ont envie de proposer à leurs collaborateurs des lieux de travail nomades.
2. Les pure-players, comme le géant américain WeWork dont les espaces de coworking proposent des bureaux pour des durées courtes, mais on le sait moins, hébergent des entreprises de 200 personnes pour des durées allant jusqu’à plusieurs mois.
3. Les marketplace qui à la façon d’un tripadvisor distribuent des offres de tiers lieux (comme SpaceBase) ou à la façon d’un Airbnb, mettent en relation des particuliers avec d’autres particuliers pour louer des espaces (comme Office Riders par exemple).
Un changement de paradigme au travail ?
On le voit avec l’arrivée de ces nouveaux acteurs; c’est une véritable révolution de nos façons de travailler qui est en œuvre. Les espaces de travail deviennent un enjeu de business comme un autre. Avec ses bienfaits : tous les actifs vont, d’une certaine façon, devenir des “clients“ du monde professionnel, avec davantage de services et de prise en compte de leurs besoins. Mais également ses travers : si nous n’y prenons pas garde, les espaces standardisés et impersonnels que connaissent la plupart des entreprises aujourd’hui (avec ses bureaux fermés et ses couloirs interminables) seront demain remplacés par de nouveaux espaces tout aussi standardisés…. sauf que le Baby-foot et les chaises dépareillées (singeant les codes des start-up californiennes) deviendront la nouvelle et ennuyeuse norme. Faisons de cette incroyable mutation, une opportunité de développer de vrais nouveaux modes de travail, dans des lieux réellement adaptés à la personnalité de chaque entreprise !
Une tribune de Martin Piot, directeur général de l’agence W.