La marque Europe est malade mais tout est encore possible !
Ça y est l’Europe revient à l’ordre du jour. Comme ces grandes compétitions sportives qui savent se faire oublier pendant quatre ans pour mieux nous donner envie de les vivre. Sauf que pour l’Europe c’est différent, d’abord parce que c’est tous les cinq ans, et que l’on voit arriver les élections européennes comme un débat forcé qui ne réjouit personne !
Personne, pas exactement tant cela fait les beaux jours des opposants de tout poil dans les 28 pays concernés. C’est souvent pour eux la seule occasion de briller et de se croire, l’espace de quelques semaines, aux portes du pouvoir… Cela leur permet surtout d’envoyer quelques députés se mettre au chaud ou plutôt aux frais du contribuable. L’Europe, ils l’aiment (ou la détestent) surtout quand il s’agit d’en goûter la soupe !
Ce constat est un désastre. L’Europe est née du « plus jamais ça » de visionnaires de la paix. Souvenons-nous du sublime discours testament de François Mitterrand le 17 janvier 1995 au Parlement de Strasbourg* « Il faut transmettre non pas cette haine mais, au contraire, la chance des réconciliations que nous devons, il faut le dire, à ceux qui, dès 1944, 1945, eux-mêmes ensanglantés, déchirés dans leur vie personnelle, le plus souvent, ont eu l’audace de concevoir ce que pourrait être un avenir plus radieux qui serait fondé sur la réconciliation et sur la paix. C’est ce que nous avons fait… Il faut vaincre ces préjugés, ce que je vous demande là est presque impossible, car il faut vaincre notre histoire et pourtant, si on ne la vainc pas, il faut savoir qu’une règle s’imposera, Mesdames et Messieurs. Le nationalisme c’est la guerre !
La guerre, ce n’est pas seulement le passé, cela peut être notre avenir. Et c’est nous, c’est vous, Mesdames et Messieurs les députés, qui êtes désormais les gardiens de notre paix, de notre sécurité et de cet avenir ».
Cela fait froid dans le dos.
On ne peut pas m’empêcher de poser cette question : Qu’avons-nous fait depuis 1995 avec cette belle marque Europe ? Comment se fait-il que la vision de paix, de solidarité et de concorde à l’échelle de plus de 500 millions d’habitants se soit peu à peu dissipée pour laisser place aux intérêts particuliers, aux égoïsmes et au repli sur soi. Comment se fait-il que les Européens, vous, nous, moi ne voyons pas que l’accueil des migrants est l’enjeu humanitaire du XXIe siècle sur lequel notre génération sera jugée sans qu’aucun d’entre nous puisse dire « on ne savait pas » ?
Il est urgent de reprendre le fil d’une marque qui s’est délitée. L’histoire des marques heureusement nous donne quelques raisons d’espérer. Combien de celles qui font notre quotidien et notre fierté aujourd’hui ont-elles traversé de crises ? Données pour mortes, elles ont su se redresser et repartir à la conquête du monde. Tous ces redressements ont puisé leur secret dans un diagnostic sans concession. Essayons donc de comprendre.
La marque Europe est inconnue
Qui connaît les 28 États de l’Union européenne ? Faut-il laisser au seul Erasmus la pédagogie du continent ? Au lieu de faire des « année du Japon » (que j’adore) on devrait commencer par faire des « année de l’Europe » dans toutes les capitales avec moult expositions et mobilisation des media. On ne peut ni aimer ni promouvoir un produit ou une marque qu’on ne connaît pas.
La marque Europe est illisible
On ne comprend rien à l’action de l’Europe. Qui sait ce qu’elle fait vraiment ? Quel grand projet nous parle ? Quelle action déterminante a-t-elle menée au titre du fameux principe de subsidiarité, qui lui aurait permis, de s’attaquer à un sujet qu’un pays souverain n’aurait pas été en mesure de conduire seul ? On n’adhère pas à une marque dont on ne mesure pas les effets tangibles.
La marque Europe est d’un ennui mortel
Il n’y a pas de marque sans imaginaire. Toutes les stratégies de Nation Branding prennent appui sur des mythes fondateurs, des archétypes connus et aimés à travers le monde. Pourquoi l’Europe a-t-elle tourné le dos à la créativité que la planète lui envie ? L’Europe ne pourra jamais être Bruxelles. Il suffit de s’y rendre pour toucher du doigt le drame. C’est un temple sans âme ni souffle où se perdent 751 députés dont les boîtes aux lettres symbolisent l’errance d’inconnus à cette adresse.
On ne défend pas une marque qui ne fait pas rêver.
La marque Europe c’est personne
Qui connaît les leaders de l’Europe ? Simone Weil est au Panthéon, Jacques Delors repose en paix. Il n’y a guère que Michel Barnier qui vaillamment pilote la mission de défaisance du Brexit. Il y a mieux pour incarner l’avenir ! La marche solitaire d’Emmanuel Macron, vêtu de noir, dans la cour du Louvre, au rythme de l’hymne européen, apparaît aujourd’hui comme une prophétie.
Prophétie de malheur s’il ne parvient pas à fédérer dans un nouvel élan tous ceux qui croient en l’Europe et qui sont résolus à la changer. Prophétie de joie, si on sait trouver la force de combattre un à un tous ceux qui veulent la tuer.
On ne peut jamais se battre pour une marque désincarnée.
Si elle veut s’en sortir, la marque Europe va devoir suivre le traitement de choc réservé aux marques en péril : une dose de simplification, une dose d’unité et une double dose de créativité. Le tout à administrer matin et soir avant les prochaines échéances. Tout est encore possible !
Une tribune de Denis Gancel, enseignant à Sciences Po Paris et président fondateur de l’agence W.