Le design, c’est quoi ?

LES POSTS DES BOSS
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Cela ne va pas de soi.
Cette interrogation taraude les familles qui voient leurs enfants entamer des études dans un monde dont ils ne connaissent que le vernis des magazines de décoration. Elle inquiète les clients à l’idée de savoir combien cela coûte mais pas ce que cela rapporte et elle épuise les praticiens lorsqu’ils ont eux-mêmes à s’en expliquer.

Vous n’auriez pas une question un peu plus petite, demandait Henri Matisse à une rombière qui l’interrogeait sur sa définition de l’art.

Une énigme aussi vaste ne se résout pas en 4000 signes d’autant qu’elle évolue dans le temps et dans l’espace depuis qu’elle existe comme discipline. De fait, la question demeure et le mystère s’épaissit à mesure que son champ s’élargit. Le design est un univers en pleine expansion.
Né dans un contexte industriel, il a lui-même décrété ses insuffisances, appelé à l’éco-conception, délaissé l’objet ou les signes pour laisser toute la place à l’humain, s’est recentré sur l’utilisateur puis sur l’utilité publique et l’intérêt général. Il a tantôt privilégié la forme, tantôt le processus, souvent la fonction et l’usage mais aussi célébré ces obscurs objets du désir. Il a un jour revendiqué l’artisanat et la défense des savoir-faire précieux, un autre la science d’une production démocratique pour que chacun puisse accéder au beau dans l’utile. De boutiques en musées, il aime aussi s’aventurer aux frontières de l’art…
1000 signes plus tard, le paysage reste flou et les définitions idéologiques.
Pourtant, il y a tout de même dans l’approche des designers aussi divers soient-ils, quelques traits communs que l’on peut tenter de partager :
Faire plus avec moins, moins de matière, moins de signes, moins d’effet, faire mieux qu’avant, plus lisible, plus efficace, plus puissant, plus séduisant. Rendre service, simplifier la vie, les parcours, les méandres et les formalités. Éclaircir, être utile et beau à la fois, préserver ce qui doit l’être pour dessiner un monde, plus aimable, plus élégant, plus attentif, plus inclusif.
Penser collectif et penser le collectif, penser stratégie, penser création avec tous les talents, compter sur les autres, humer l’air du temps, identifier les signaux faibles et les nouveaux usages ou les susciter, inventer les nouveaux bien-être et envisager le temps long.
Créer le bon caractère, placer la couleur là où elle s’impose, décadrer la réponse, raconter la bonne histoire, soigner la typographie, choisir la bonne image, le bon rythme, le bon son qui va avec, la bonne ergonomie. Remplacer le papier par du bois, le bois par de la pierre et bien l’éclairer, réduire la taille du logo, de l’enseigne, réduire l’empreinte écologique.
Faire et bien faire. Laisser les post-it de côté. Fabriquer soigneusement parce que l’on est ce que l’on fait. Comme un artisan avec passion, comme un industriel avec méthode et vice-versa.
Avec mesure souvent et démesure parfois, parce que la vie est faite de tempérance et d’excès, de petits bonheurs et de grands soirs. Tantôt avec humour, tantôt avec grâce.
Avec légèreté toujours, car il faut fuir l’esprit de sérieux.

Voilà. C’est ça le design.

C’est une façon d’être au monde, entre utopie et pouvoir, une philosophie de vie qui pense la complexité et relie ceux qui fabriquent et ceux qui pensent – ce sont parfois les mêmes – qui associe la puissance des symboles, l’appréhension des nouveaux espaces virtuels et l’ancrage dans la vraie vie.
Business, culture, services publics, le design se place aux côtés des entreprises, des acteurs culturels et sociaux, aux côtés des consommateurs et des citoyens pour tisser une relation de confiance et créer le monde dans lequel on vit mieux, pour le bien commun.
Le design conçoit l’altérité comme une richesse apte à produire
avec responsabilité un environnement plus fraternel, de belles choses qui nous enchantent, en somme de beaux moments qui rendent la vie plus intéressante que le design.

Une chronique de Gilles Deléris, directeur de la création de l’agence W, parue dans le magazine Étapes n°246.

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